Mardi 15 mai 2018 en début d’après-midi, Jérôme Cahuzac connaîtra son sort définitif. Après plusieurs années de révélation et de passages devant la justice, l’ancien ministre du Budget sous François Hollande attend la décision de la cour de Paris après avoir fait appel suite à une condamnation à trois ans de prison. Mais pourquoi ce jugement ? Accusé de fraude fiscale, celui-ci a été au cœur d’un des plus grands scandales du quinquennat précédent. Retour sur cette affaire qui atteint aujourd’hui son épilogue et qui permet de mieux comprendre la politique en France et son rapport à la justice.

Du déni aux aveux

Tout commence le 4 décembre 2012 par une révélation du site Médiapart. Le pure player accuse Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget, d’avoir détenu un compte en suisse à l’Union des Banques suisses de Genève jusqu’en 2010 avant de déplacer ses avoirs à Singapour. Le média s’appuie sur un enregistrement datant de fin 2000, où l’homme politique s’inquiète de ce compte. Celui-ci réagit alors immédiatement et déclare n’avoir « jamais disposé d’un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Jamais », et réitère cette déclaration devant l’Assemblée nationale. Mais le parquet finit par mener une enquête préliminaire, et début janvier, déclare que la voix de l’enregistrement est probablement celle de l’accusé. Le 19 mars 2013, celui-ci remet sa démission au gouvernement pour en protéger le bon fonctionnement, tout en continuant à clamer son innocence et la nature calomnieuse des propos tenus par Médiapart. Pourtant, quelques mois plus tard, le 2 avril 2013, coup de théâtre : Jérôme Cahuzac reconnaît devant les juges avoir détenu un compte à l’étranger comme l’a indiqué le média en ligne, où seraient abrité plus de 600 000 euros. Celui-ci s’excuse publiquement sur son site internet et déclare : « J’ai été pris dans une spirale du mensonge et m’y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords. » Fin 2013, il ferme ce compte et rapatrie l’argent qu’il contient.

La descente aux enfers

Mise en examen dans le cadre de l’enquête, Patricia Cahuzac, l’épouse en instance de divorce du ministre du Budget est écoutée par les juges. Elle finit par avouer posséder elle aussi un compte bancaire caché, crédité au total de l’équivalent de 2,5 millions d’euros. Alors en proie à un divorce difficile, l’enquête révèle également de nombreux détails gênant pour les époux Cahuzac. Pendant un temps médecins au sein d’une clinique capillaire, plusieurs clients auraient vu leurs chèques de payement rédigés à l’ordre du nom de jeune fille de la mère de Jérome Cahuzac. Le compte de celle-ci aurait ainsi engrangé plus de 200 000 euros non déclarés, qui auraient servi aux époux à se payer des dépenses de loisir et de vacance. Autre accusation, celle d’avoir accueilli un chien d’aveugle avant qu’il soit fourni à un malvoyant. Attaché à celui-ci Jérome Cahuzac l’aurait déclaré perdu pour le conserver. Ces révélations viennent entacher la réputation de Jérome Cahuzac et détériorent son image, déjà très mauvaise. Celui-ci est alors au cœur d’une tempête médiatique : son poste de ministre du budget, chargé de lutter contre ce type d’affaire, rend la situation particulièrement ironique et lui vaut un déchaînement de l’opinion publique et une très forte médiatisation : mort politiquement et socialement, la carrière de Jérôme Cahuzac est définitivement enterrée. Il s’exile en Corse avec son chien et vit seul : très peu de personnalités politiques osent alors s’en approcher de peur de tomber dans le collimateur de la police.

Les procès

Après un premier procès écourté et une décision du Conseil constitutionnel autorisant le cumul des poursuites pénales et des sanctions administratives « dans le cas des fraudes les plus graves » se tient le procès de l’ancien ministre le 5 septembre 2016. Il y est jugé pour fraude fiscale,pour blanchiment de fraude fiscale et pour avoir minoré sa déclaration de patrimoine en entrant au gouvernement en mai 2012. Celui-ci apporte alors une nouvelle version des faits à la barre : il aurait ouvert ce compte pour financer l’activité politique de Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991 sous Mitterrand. Il aurait ainsi récolté de l’argent dans la perspective d’une potentielle candidature aux élections présidentielles de 1995 de Michel Rocard et déclare :« J’ai décidé de tout prendre sur moi. Je ne voulais pas faire du mal à Michel Rocard. Il ignorait tout. » Le 8 décembre 2016, le verdict tombe : Jérôme Cahuzac est condamné à des amendes et remboursements, mais également à 3 ans de prison ferme. L’homme politique décide alors de faire appel : il continue de défendre sa thèse d’un « trésor de guerre rocardien » et se place comme un bouc émissaire. Il refuse pour autant de livrer des noms, voulant éviter un combat perdu d’avance et dit : « ils vont nier, ça sera leur parole contre la mienne et la mienne ne vaut plus rien ». Durant ce procès, son avocat, Maître Dupont Morreti, est revenu sur le déchaînement dont est victime Jérôme Cahuzac depuis 5 ans et l’a décrit comme un « paria » : « “Il suffit de marcher avec Jérôme Cahuzac pour s’en rendre compte, a asséné l’avocat. Même aujourd’hui, 5 ans après, c’est un harcèlement. On lui crache à la gueule dans la rue, au restaurant…” L’avocat général a en revanche fustigé l’ancien ministre :“comme ministre, vous pensiez incarner l’intérêt général et la loi. En définitive, vous serez une jurisprudence”.

C’est donc aujourd’hui que se jouera le sort de Jérôme Cahuzac, après de nombreux rebondissements. Ce scandale datant du quinquennat Hollande reste l’une des affaires emblématiques qui ont mis en lumière la nécessité d’une moralisation de la vie politique mise en place aujourd’hui par le gouvernement Macron.

 

Source : chaîne Dailymotion Libé Zap
Source image : Flickr Parti socialiste – Photo Mathieu Delmestre : Solfé Communications sous creative commons