Mr Sauvannet, pouvez-vous expliquer en simplifiant ce qu’est le 49.3 ?

Philippe Sauvannet : L’article 49 alinéa 3, qu’on connaît plus sous le nom d’article 49.3, fait partie du « Titre V » de la Constitution de 1958. Considéré comme une mesure d’exception, il permet au premier ministre de faire adopter un projet de loi sans vote de l’Assemblée, en engageant la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale. Dit de manière simple, il permet donc au pouvoir exécutif de faire adopter une loi sans avoir un vote favorable explicite de l’Assemblée. Cette mesure est toutefois limitée à une fois par session parlementaire (sauf dérogation projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale).

Le 49.3 fait partie de la Constitution Française de 1958

Quelle est l’utilité du 49.3 ? On imagine que le législateur avait ses raisons… 

Mr Sauvannet : “Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.”

Tel est le texte constitutionnel de l’article 49 alinéa 3.

Le pourquoi de son origine .

C’est Michel Debré, alors Garde des Sceaux, ministre de la Justice, du Général De Gaulle, revenu au pouvoir qui est le père de la Constitution de la Vème République.

La Constitution de 1958 est un texte en forme de réaction envers l’instabilité du régime parlementaire de la IVème République issu de la Constitution précédente de 1946 et de la Libération. En effet, pas moins de 22 gouvernements dirigés par un Président du Conseil se sont succédé en douze ans, certains ne durant que quelques mois. Le General de Gaulle qui n’a jamais participé au pouvoir sous la IV ème en avait tiré la leçon que cette instabilité nuisait à l’action publique et à la crédibilité du Régime. Il voulait un gouvernement fort qui ne soit pas contrarié tous les matins en se levant par des “combinazione” politiciennes. La IVème se définissant, alors, comme le “Régime des partis” (cf. loi des apparentements en 1951).

Pour Mr Philippe Sauvannet le 49.3 est un moyen de mettre l opposition en face de ses responsabilites

Mr Philippe Sauvannet, le 49.3 est souvent présenté comme un déni de démocratie ou un aveu de faiblesse, que pensez-vous personnellement de cet article ?

P. Sauvannet : Cette forme de “passage en force” ou de “déni démocratique” – Nb: à ma connaissance il ne semble pas y avoir d’équivalent, sous cette forme, dans les autres constitutions européennes – selon certains, sans vote parlementaire, est ainsi le moyen de mettre l’ (ou les ) opposition (s) en face de ses (leurs) responsabilités en renversant le gouvernement par le dépôt d’une motion de censure qui serait adoptée par une majorité de députés.

Le 49.3 dans hemicycle est il un deni de democratie ou un aveu de faiblesse

Bien qu’il s’agisse d’une mesure d’exception, le recours au 49.3 fut fréquent sous la Ve République. Pourquoi ?

Philippe Sauvannet : Le recours à l’article 49-3 se justifie dans le cas d’un gouvernement qui ne dispose pas de majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Michel Rocard, premier ministre de François Mitterrand y eut recours 28 fois. Aujourd’hui, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, il ne peut être invoqué, hors projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale qu’une seule fois par session parlementaire. Il s’agit, par cette modification, d’éviter une inflation de recours qui décrédibiliserait le gouvernement, mettrait en péril l’équilibre des pouvoirs dans le respect de leurs compétences respectives et serait annonciateur d’un régime autoritaire.

Il est considéré, d’ailleurs, à tort ou à raison, comme un “déni de démocratie » par certains.

Force est de constater qu’il est le révélateur d’une certaine impuissance et d’un échec pour l’Exécutif à convaincre dans le débat parlementaire. A contrario, il en va de même dans l’hypothèse (la plus souvent vérifiée) ou, après le dépôt d’une motion de censure, intervenant en réaction, par un groupe parlementaire, la ou les oppositions ne parviennent pas à s’entendre sur ledit texte déposé entraînant un rejet de la motion. Tout au plus le 49-3 permet-il d’assurer une certaine stabilité de l’action publique gouvernementale, pour un temps, mais il est aussi, à mon sens, le signe d’une difficulté à trouver un compromis et reflète de profondes divisions politiques, ce qui ne plaide pas pour une démocratie apaisée.

49-3 et responsabilite du Gouvernement expliquee par Philippe Sauvannet

Pourquoi dit-on que le 49.3 engage la responsabilité du gouvernement ?

Monsieur Philippe Sauvannet : Engager la responsabilité du gouvernement veut dire que celui-ci, s’il n’obtient pas la majorité des votes à l’Assemblée Nationale, s’expose à être renversé par l’opposition. La suite logique est, alors, un appel au peuple pour trancher le litige par de nouvelles élections législatives.

 

Est-ce que, d’après vous monsieur Philippe Sauvannet, le 49.3 peut-il être être “mal utilisé” ?

Philippe Sauvannet : Peut-on considérer qu’il pourrait être mal utilisé? Tout dépend évidemment de là ou l’on place le curseur. S’agissant du budget de l’Etat, acte politique majeur s’il en est puisqu’il traduit la volonté politique du gouvernement, le recours au 49-3 section par section, soit recettes puis dépenses peut s’entendre. Après, son intervention ne doit s’exécuter que sur un texte politique majeur. S’agissant de l’organisation des pouvoirs publics, le chef de l’Etat peut toujours recourir au référendum, mais c’est une toute autre histoire. Il est toujours dangereux pour les politiciens qui ont eu à s’en mordre les doigts de manier cet outil de recourir directement au peuple. Et pourtant, aux termes de la Constitution le peuple n’est-il pas “Souverain”?

Selon Philippe Sauvannet au milieu a droite le Parlement Europeen peut user d un article ressemblant au 49-3

Existe-t-il l’équivalent d’un 49.3 au parlement européen ?

Philippe Sauvannet : Comparaison n’est pas raison, mais on peut considérer un certain parallélisme des formes avec l’article 218-5 (ex article 300 “Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne” de 1958 (version consolidée), cinquième partie «L’action extérieure de l’Union», titre 5 «Accords internationaux», qui dispose que :

 “Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l’entrée en vigueur.” Il s’agit du Conseil des ministres de l’UE qui décide, ainsi, avant même que le Parlement européen, saisi, se soit prononcé. En effet, ce dernier doit donner son “approbation” avant que le Conseil ne conclue un certain nombre d’accords internationaux d’importance. Parlement européen dont il convient de rappeler, au surplus, au grand dam de certains qu’il n’a pas l’initiative des lois, soit les directives, qui revient à l’exécutif qu’est la Commission.

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