Peu de revues ont réussi à traverser les époques, sans perdre de leur superbe, de leur pertinence et de leur aura. La Revue des Deux Mondes l’a fait ! Fondée en 1829, cette publication mensuelle arbore toujours sa couverture saumon emblématique originelle, signe que les temps qui changent n’ont que peu d’emprise sur sa ligne. Depuis sa création, la revue offre un espace d’expression unique où éminents membres de l’Institut et académiciens, chroniqueurs littéraires et penseurs politiques, en grande majorité de tendance conservatrice, partagent leurs perspectives. Zoom sur l’orientation politique de l’une des plus anciennes revues de France.

L’évolution conservatrice de la revue

La Revue des Deux Mondes connaîtra son véritable essor en 1831, suite à sa reprise par François Buloz. Sous sa houlette, la revue a pris une dimension essentiellement littéraire, en publiant des auteurs phares comme Balzac, Vigny, Hugo, George Sand et Sainte-Beuve, entre autres. Parallèlement, son engagement politique est manifeste grâce aux articles qu’elle consacre à la politique intérieure, à la diplomatie ou à l’histoire. Jusqu’en 1848, elle se positionne comme libérale, voire progressiste, en soutenant la monarchie constitutionnelle de Juillet. Cela dit, les événements de 1848 conduisent la plupart de ses contributeurs vers une orientation politique de plus en plus conservatrice, affichant une prudence extrême durant l’affaire Dreyfus, combattant la propagation des idées socialistes et communistes, et s’opposant à la guerre d’Espagne en 1936, tout en soutenant les régimes de Salazar et de Primo de Riveira.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la revue, qui s’était réfugiée à Royat, offrit un abri à certaines personnes persécutées par les forces d’occupation et subit diverses difficultés administratives. A partir de sa reprise en 1948, elle se lance dans une critique des défaillances de la IVe République, en défendant Antoine Pinay, et à partir de 1958, en manifestant son soutien au gaullisme dont de nombreux défenseurs (M. Schumann, A. Peyreffite…) ont contribué à sa rédaction. Parmi les successeurs de Buloz, Fernand Brunetière et René Doumic ont largement contribué à cette évolution de plus en plus conservatrice et traditionaliste de la revue.

Des sommets du XIXe siècle à la quête d’un renouveau contemporain

A la veille de la Première Guerre mondiale, le lectorat de la revue monte en flèche, atteignant 40 000 abonnés, alors qu’elle en comptait 25 000 en 1868. Elle joue alors un rôle central dans la vie politique française durant tout le XIXe siècle, ses salons étant fréquentés par l’élite politique jusqu’en 1914. Outre son intérêt pour les questions diplomatiques, la revue suit de près les littératures étrangères (Goethe, Schiller, Heine, Kipling…) qu’elle contribue à populariser en France. Elle a également accueilli des contributions d’auteurs de renom comme Renan, Mérimée, Stendhal, Chateaubriand et, plus tard, Barrès, Loti, Rostand… A un certain moment, la revue a vu passer, simultanément, trois critiques de renom : Brunetière, Faguet et Lemaître. Toutefois, particulièrement dans l’entre-deux-guerres, son conservatisme affiché la conduit à négliger la plupart des auteurs et mouvements d’importance, qui ont façonné la littérature moderne contemporaine.

En cherchant obstinément à se positionner comme la revue de l’élite et en se focalisant sur l’Académie française comme bastion de cette élite, tout en cherchant à défendre et illustrer les idées traditionalistes, La Revue des Deux Mondes a rencontré de plus en plus de difficultés à jouer un rôle dans la vie littéraire, intellectuelle et politique depuis la Libération. Peu à peu, elle devient désuète… Heureusement, elle sera soutenue par le mécène Marc Ladreit de Lacharrière, qui la rachète en 1991 pour sauver ce qu’il estime être un trésor à la fois historique, littéraire et humaniste. La plus ancienne revue d’Europe continue de paraître encore aujourd’hui…